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LE DIABLE


C'est Noël.
Et comme tout le monde ce matin-là, le Diable, qui, d'impatience, n'a pas dormi de la nuit, remonte sur la pointe de ses pieds griffus le long escalier conduisant à la pièce où trône son sapin de noël.
Drôle de sapin que celui du Diable ! Cet arbre à feuillage persistant est ici pelé, roussi, victime impuissante des flammèches que des diablotins s’obstinent à rallumer sans cesse sur ses pauvres
branches devenues cassantes.
Ce matin là donc, le Diable se sent d'une impatience du « feu de Dieu » (oui ! Pour le Diable, c'est jour de jurons) à l'idée de découvrir ce que le vieux bonhomme a laissé au pied de son sapin.
Mais pourquoi le Père Noël prend-il la peine de passer chez le diable ? La réponse est simple :
Fatigué de son Pôle Nord et du froid de l'hiver chez les humains, il ne voudrait pour rien au monde manquer une si belle occasion de se réchauffer !
Donc, oui, il est bel et bien passé, et le Diable découvre au pied de l'arbre trois paquets, de taille très différente, chacun soigneusement enveloppé d'un papier noir brillant à reflets moirés. Père Noël,
soucieux de diplomatie, soigne le personnage et se montre aux petits soins pour lui.
Le Diable s'approche des paquets, sans précipitation, et défait soigneusement le papier du premier en veillant à ne pas le déchirer. Car évidemment, il a fait voeu de sagesse, dans sa lettre au Père
Noël, une promesse qu'il oubliera dès le lendemain. Mais aujourd'hui il respecte son contrat.
Et il a d'autant plus de mérite qu'il le sait par avance : il ne trouvera aucun des « joujoux » très amusants qu'il a sélectionné avec soin dans un catalogue spécialisé, sur internet.
Internet, le Diable, il trouve ça très bien : on y déniche tout ce qu'on veut!! C'est parfois écrit en langue étrangère mais les photos sont éloquentes, et chaque année le nombre de sites intéressants
augmente. Aussi, il a passé un certain temps à comparer les mérites de plusieurs gadgets rigolos, bombes diverses, armes de tout calibre, gaz toxiques, nouveaux virus et bacilles, pollutions possibles... et le choix est considérable.
Mais, cette fois encore, il s'attend à tout, ce diable de Père Noël (oui !: diable! d'autant plus redoutable que lui n'en a pas l'apparence) n'hésite jamais à contrarier ses attentes pour des raisons
de pacifisme benêt!
Donc, le premier paquet laisse apparaître... un livre !! Et là, le Diable grogne : Que va-t-il faire d'un livre, lui qui ne sait pas lire, tout juste déchiffrer en ânonnant, car bien entendu, attentif aux conseils
de son grand-père, il s'est fait une gloire pendant toute sa jeunesse de coiffer chaque jour le « bonnet d'âne », certificat de son pedigree. Un bonnet très seyant, ma foi, dont les deux longues oreilles
chaussaient parfaitement ses cornes naissantes. Un livre ! Au moins, a-t-il des images ? Oui !... Bon c'est déjà ça !

Voyons ! : Sur la troisième page, une grosse boule de feu. Pas mal ! Plus loin, une ville en flammes ! Mouais !... Et puis, un monde sous les eaux. Le Diable feuillette, mais vers la fin ça se gâte : la naissance d'un marmot. Un type qui parle dans une assemblée. Bof !... pas drôle!

Le Diable ferme le bouquin et déchiffre le titre sur la couverture :
« La ...bi...bleu... poure... lé... nul » .
Et il fait une vilaine grimace de dégoût.
Voyons plutôt le second paquet :

Volumineux, celui-là ! Même manoeuvre, mais cette fois, défaire
soigneusement le papier d'emballage prend plus de temps. Apparaissent peu à peu des parties en métal chromé, d'autres rouge vif.

Quand enfin il trouve un tuyau (à EAU, quelle horreur!!!) le Diable entre dans une colère noire, déchire ce qui reste d'enveloppe et découvre... un camion de pompier !!! Lui qui rêvait d'un lance flammes ! Mais il s'en fout ! Puisque c'est comme ça, il en fera un camion bélier qu'il enverra à toute berzingue dans la première vitrine de magasin de jouets qu'il trouvera !!!...Na !!!
Et le Diable tire une longue langue fourchue vers le camion.
Le troisième cadeau est, lui, tout petit !: Quelques centimètres de haut, la largeur d'un gros crayon.
Et il le prend prudemment, essayant d'imaginer ce que ce satané Père Noël a encore pu inventer pour le tourmenter : un stylo ? Et il s'amusera de ses tentatives pour le tenir entre ses longues griffes
sans pouce préhenseur ? Suffisamment sadique pour ça ! Ou un bijou ? Pourquoi pas des boutons de manchette? Ou un gadget à mettre dans la poche, lui qui ne porte jamais d'habits ?

Le Diable s'attend à tout, et c'est sans ménagement qu'il s'en prend au papier d'emballage, saucissonné autour de l'objet comme les langes d'un nouveau-né, et galbé de bandelettes de scotch dont un rouleau
complet semble être passé dans l'entreprise.

Il s'énerve, y met les dents, les griffes. S'ensuit un combat titanesque entre le scotch et lui, dont des débris lui collent aux pattes, au nez, et jusqu'aux cornes !

Le Diable fulmine, finit par s'enflammer, et achève ainsi de consumer le malheureux sapin qui s'écroule, en cendres, faisant fuir les derniers diablotins acharnés à l'illuminer.

Et quand il parvient enfin à atteindre l'objet, il a en mains un joli flacon de vernis à ongles... rose...

Alors le diable rappelle les diablotins, leur administre à chacun une énorme fessée, comme ça, pour se défouler, et se jure que la prochaine fois il ne boira plus autant au réveillon, parce que le lendemain il a la gueule de bois.

Et il retourne se coucher.
Encore un jour de noël que les humains passeront tranquilles,  pendant que le Diable cuve sa mauvaise humeur.
Mais gare au réveil !

 

 

Le Diable

DEMETER


Terre, 13 septembre 2044, 13 h 28
« Nous interrompons notre programme pour vous faire part de l’important communiqué qui nous parvient à l’instant même du consortium Saintomon . »
Apparaît alors sur les écrans géants un visage féminin, fatigué mais digne, aux traits incisifs, qui parle d’une voix posée :
« Je me nomme Déméter. Je suis à la tête du consortium d’hydrologie Saintomon, cette entreprise de renommée mondiale qui fournit de l’eau douce à toute la planète depuis que s’est produit le réchauffement climatique prédit par nos scientifiques. Quelques degrés d’augmentation des températures ont suffi à faire dangereusement baisser les ressources en eau douce naturelle de la planète. Des essais ont été tentés pour adoucir l’eau des océans, sans grand succès, et cette voie a
vite été abandonnée. La situation était devenue critique, quand la découverte du processus de fabrication de l’eau artificielle a sauvé la Terre d’une catastrophe programmée et définitive. C’est cette découverte, dont Saintomon détient le brevet, qui permet aujourd’hui la production à échelle mondiale de cette source de vie indispensable. »
« Mais ce n’est pas à moi seule que revient le mérite de cette invention capitale. Car dans ces recherches longues et exigeantes, ma fille Perséphone a joué un rôle décisif. »
« Or », – les écrans se sont brouillés. La voix vibre légèrement – « ma fille a aujourd’hui disparu, enlevée par un homme qui se prétend son père, et qui se nomme Hadès. Sous prétexte d’opposition au gouvernement du pays, il a pris le commandement d’une bande de rebelles qui se livrent à des activités terroristes. Il vit sous terre, comme un sauvage, dans des cavernes où il se cacher après ses méfaits et où il a sans doute entraîné ma fille. »
« C’est donc une mère en détresse qui aujourd’hui lance un appel et un ultimatum aux gouvernements du monde entier, mais aussi aux simples citoyens susceptibles d’apporter un indice, même minime.

Retrouvez ma fille, et au plus vite ! Car, sans son aide précieuse et indispensable, je serais dans l’obligation d’interrompre les activités de Saintomon. Les conséquences seraient incalculables pour l'humanité, et je suis persuadée que, conscients de ce danger, vous ne manquerez
pas de mettre tout en oeuvre pour que ma fille me soit prochainement rendue. »
« Je vous remercie de votre attention »

Demeter
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