Légère et court vêtue *
Elle était nouvelle. Et on lui avait précisé : légère et court vêtue.
Elle choisit donc pour toute enveloppe ce qu'elle pouvait trouver de plus évanescent, une robe de fine dentelle qui lui arrivait à mi-cuisses et s'ouvrait en large décolleté garni de coquets petits fronces. Chaussée d'escarpins de peau souple, elle avait les jambes nues. Ses cheveux au vent tombaient librement en boucles sur ses épaules.
Son apparition dans la salle provoqua le silence, qui s'appesantit quelques longues secondes. Puis des cercles intéressés tentèrent une approche. Elle riait, se défendant gentiment de promiscuités trop appuyées.
Mais les frôlements se firent frottements, les touchers devinrent pincements, les
tâtonnements se muèrent en empoignades, les coquetteries verbales finirent allusions et provoquèrent des rires gras. Elle se sut entourée de carnassiers prêts à mordre dans la viande fraîche et se rêva chaperon rouge au milieu des loups. Déjà des dents trop blanches déchiraient ses dentelles, des griffes manucurées entrouvraient son décolleté, des bras en smoking l'enserraient dans leurs tentacules. Elle se vit nue et ouvrit la bouche toute grande pour hurler. Une langue gluante se précipita à l'intérieur.
Alors elle ferma les yeux.
Par chance un oiseau de paradis passait par là et lui offrit une des plus belles plumes de sa queue multicolore. Elle le remercia d'un baiser aérien et en couvrit sa nudité. Alors les rires gras cessèrent.
L'oiseau entreprit de dessiner autour d'elle de grands cercles et l'invita à danser avec lui.
Le cercle des admirateurs se reforma mais à distance cette fois. Et elle ne cessa sa danse hypnotique que quand le sommeil les eut tous engloutis.
Elle était nouvelle. Et elle ne savait pas pourquoi on lui avait précisé : légère et court vêtue.
Histoire de rats
C'était un rat d'égout.
Ou plutôt non : deux rats
Un rat dégout et un rat des goûts.
Ils avaient été capturés dans les égouts du palais
et le roi les avait fait dresser
dresser en redresseurs
redresseurs de goût comme il y a des redresseurs de tort ...
Ainsi, chaque jour à 17 h précises
étaient-ils convoqués au palais pour goûter le goûter du roi :
"Rat", disait le roi, "goûtez-moi ce goûter !"
Les deux rats se ressemblaient beaucoup
mais selon que c'était le rat dégout ou le rat des goûts qui
goûtait le goûter,
le goûter n'avait pas le même goût.
"Miam!" disait le rat des goûts, "que voici un goûter goûteux!!"
"Beurk!" disait le rat dégout, que voila un goûter dégoûtant!"
Alors le roi ne savait jamais à quoi se fier.
Un jour le roi en eut assez,
il mit les deux rats dans un panier,
un panier de crabes bien entendu.
Dans ce panier il y avait deux crabes
qui coupèrent les deux rats en tous petits morceaux
puis les mangèrent.
Mais voila ! :
Le crabe qui avait mangé le rat dégout
creva de dégoût
et le crabe qui avait mangé le rat des goûts
devint si délicat
qu'il ne pouvait plus goûter à rien sans le faire le petit doigt en l'air,
mais comme c'était un crabe
ce n'est pas le petit doigt mais la pince toute entière
qu'il tenait en l'air avec délicatesse
sans pouvoir d'ailleurs la refermer
ce qui est très gênant pour un crabe :
gênant pour goûter mais aussi pour marcher
car le crabe ne pouvait plus marcher qu'en basculant chaque fois sur le coté.
Le roi vit le crabe et cela lui plut beaucoup
car non seulement c'était amusant
et le crabe faisait un parfait crabbouffon
mais en plus en basculant ainsi
le crabe donnait chaque fois l'impression de faire la révérence
et cela comme chacun sait plait beaucoup aux rois.
Qui plus est,
ce crabe délicat était un parfait goûteur,
qui appréciait tous les goûters du roi par un
"Miam! que voici un goûter goûteux!!"
qu'il avait hérité du rat des goûts qu'il avait mangé
et qui rendait le roi très heureux de manger son goûter.
C'est ainsi que le roi adopta le crabe
et qu'ils furent très heureux jusqu'à la fin de leurs jours
ou plutôt
jusqu'à la fin des jours du crabe
c'est à dire jusqu'au jour où le roi se lassa de son crabbouffon
et décida de le bouffer
en rat-goût.
Gipsy la souris *
Gipsy la souris était toujours de méchante humeur.
Mais force est de reconnaître que lorsqu'elle se regardait dans le miroir du salon, il n'y avait vraiment pas de quoi rire.Elle avait les yeux louches et rapprochés, les moustaches trop courtes et frisottées, trois poils sur le haut du crane qui lui faisaient une houppe, des oreilles larges et mal ourlées, et surtout, surtout, des dents trop longues qui mordaient sur sa lèvre inférieure et la contraignaient à garder la bouche entrouverte, ce qui lui donnait un air passablement idiot.
Mais malheur à qui osait la moindre remarque sur son physique, car elle se fâchait très fort, ses petits yeux lançaient des éclairs, ses oreilles se rabattaient en arrière de fureur, son nez se troussait, et le contraste avec sa bouche entrouverte aux dents proéminentes atteignait un tel comique que c'était un défi de garder son sérieux devant sa mine furibarde.
La colère de Gipsy redoublait alors, tournait à la folie furieuse, et une course poursuite s'ensuivait derrière un adversaire écroulé de rire.
Pourtant, l'orgueilleuse souris était parvenue à se persuader que Mère Nature ne l'avait pas tant défavorisée que cela, et qu'à la faveur de quelques coquetteries, de toilettes seyantes, de maquillage et de maintien, elle parviendrait à rendre son physique agréable et même attrayant. Elle aimait à se répéter qu'elle avait de la personnalité, que les autres en étaient jaloux et qu' un être de cœur découvrirait sans doute ses qualités cachées.
Aussi s'entraînait-elle devant le miroir à minauder, à cligner des paupières, à prendre une moue mutine, et elle travaillait ses gestes pour les rendre gracieux et délicats, dans l'espoir de séduire un jour un beau rat qui ne manquerait pas de la tirer de ce trou perdu et lui montrerait le monde.
Car Gipsy était née dans un milieu bien modeste, un trou de souris étroit et sombre en pleine campagne où il ne passait jamais personne. Ses parents étaient pauvres, les bouches à nourrir nombreuses et les occasions de sorties et d'amusement à l'extérieur bien rares.
Un beau jour un Monsieur se présenta. De passage il demanda l'hospitalité pour la nuit dans le gîte des souris. Le port avantageux, beau parleur, savamment et élégamment vêtu, il eut tôt fait de faire tourner la tête de Souricette en racontant longuement les nombreux voyages effectués pour ses affaires, dans des pays lointains et exotiques, vantant les rendez-vous avec des gens importants et les soirées mondaines qui s'ensuivaient.
La petite, qui l'écoutait, toute ouïe au son de sa voix mâle et grave, se vit immédiatement en belle robe longue, tourbillonnant au rythme charmeur des valses, honorée de baise-mains et de galanteries mondaines.
Quand elle fit part à ses parents de ses espoirs, ils se moquèrent d'elle, tâchèrent de la détourner de ses fantasmes en lui prouvant que tout ceci n'était que du vent, que du rêve, bien loin de la réalité qui l'attendait. Mais le séducteur l'avait ensorcelée par ses discours brûlants, jurant la main sur le cœur, et persuadée qu'il l'enlèverait dès le lendemain à sa condition misérable pour l'emmener voir le monde.
Pourtant, au matin, quand elle ouvrit les yeux, le beau Monsieur, qui après tout n'était qu'un rat, s'était envolé. Notre petite souris délaissée pleura beaucoup de larmes de crocodile, et, de dépit, finit grenouille de bénitier.
Le dormeur du val*
Tout le monde la croyait analphabète, et se moquait de cette ignorante.
Mais nul ne soupçonnait son talent pour lire dans les lignes de la main. Car qui connaît vraiment la chiromancie? Or il s'agit d'un langage parmi d'autres, et comme tout langage il s'écrit avec des signes et se lit.
Tant de gens ne voient dans les lettres que matière à construire des rapports, des articles de revue, ou pire, à montrer son intelligence avec des textes abscons, lus par politesse bien au chaud au fond de son lit et juste avant de s'endormir d'un sommeil d'autant plus profond que l'écrit en question est long et atone.
Non, pour comprendre le vrai sens des lettres il faut s'en montrer digne, lire entre leurs lignes, les comprendre à demi-mot. Leur véritable nature se ferme aux pédants, aux écrivassiers d'un jour, aux brasseurs d'air, aux moulins à vent de l'écrit jetable.
Donc, tout le monde se moquait de E... Ce dont elle s’accommodait la plupart du temps, n'ayant nul besoin de communiquer avec ceux que le hasard plaçait sur sa route, pour elle des étrangers.
Un jour, perdue dans ses pensées et aussi un peu sur le chemin qu'elle suivait – en fait elle marchait au hasard – elle arriva dans un vallon, un vallon à la campagne, tout vert, où l'été battait son plein.
Elle passa près d'un jeune homme, allongé là, et fut frappée, au milieu de ce vert omniprésent, par la tache rouge qui marquait sa chemise d'un blanc éclatant. Un contraste de couleurs qui d'emblée l'interrogea.
Elle s'approcha sur la pointe des pieds pour constater que le jeune homme dormait, paisible. L'air était écrasé de chaleur, le ciel très bleu, sans nuage, et la lumière très vive.
Elle s'approcha encore.
La respiration régulière scandait un rythme un-deux presque musical. La lumière se fit encore plus vive, encore plus blanche, jusqu'à ce que disparaissent toutes les autres couleurs. Et toujours le rythme binaire de la respiration.
E... se tenait tout près de lui maintenant.
Alors elle lui prit la main, doucement, pour ne pas le réveiller. Elle tourna la paume vers le ciel, y posa son regard et lut. Les lignes importantes s'y dessinaient distinctement, la ligne de vie, celle de coeur, de tête, de chance...
Mais voila que ces lignes traçaient tour à tour les voyelles, le A d'abord, très distinct, puis après quelques secondes apparut un E epsilon, suivi du I plutôt tordu, puis un O anguleux et enfin un U en vasque. Et chaque lettre naissait et disparaissait au rythme binaire de la respiration.
Et en même temps s'échappaient de la bouche du dormeur du val de petits nuages de couleur dont la nuance changeait à chaque lettre: A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu.
A n'en pas douter cet homme-là parlait le langage des astres et côtoyait les étoiles dans ses rêves.
E... resta longtemps à écouter cette musique colorée dont elle ne se lassait pas.
Comme la nuit tombait et que l'obscurité grandissante effaçait peu à peu les lettres de la main magique, E... dut se résigner à partir, bien à contre coeur.
Mais avant de se relever elle se pencha à l'oreille de celui qui dormait toujours et murmura:
"Poète, mon gentil poète, surtout ne te réveille jamais! l'avenir pour toi pourrait ressembler à cette nuit sombre. Demain avec le jour renaîtra la grande clarté et sa ronde de voyelles colorées. Ton futur balance entre l’apothéose du jour et le néant de la nuit, ce même rythme binaire qui gouverne les deux pôles de ta vie. Mais les lettres de couleur que tu as fait naître suivront à jamais ton nom ».
Ainsi le prédit la voyante et l’avenir lui donna raison.
Car elle seule, l’ « ignorante » , avait su lire dans la main du poète son destin de lumière et d’ombre.
Alerte *
Ce fut d’abord une impression puis une certitude.
Les habitants de la terre n'en croyaient pas leurs yeux. Car, curieusement, le phénomène, qui tenait la tête de l'actualité, avait été constaté dans tous les pays du monde, du moins dans tous ceux où l'urbanisme, avec des bâtiments conséquents, était développé. Cela se traduisait par de légères fissures, dans les murs tout d'abord, par des tuiles de toits qui sautaient, après que les charpentes aient exprimées par de longs grincements leur arthrite précoce. Des terrasses se creusaient, les clés
de voûte des cathédrales, déboîtées de leur encoche, menaçaient de tomber...
Un tas de phénomènes concertés s'additionnaient, curieusement, depuis maintenant plusieurs années.
Et les habitants commençaient à se rendre compte, imperceptiblement mais nettement,que les murs se rapprochaient. L'armoire, placée dans le coin d'une pièce à la dimension requise, à l'époque, était à présent coincée entre deux murs... Le passage ménagé autour du lit dans la chambre n'était plus suffisant pour circuler...Autant de petites remarques quotidiennes qui alimentaient une inquiétude diffuse et généralisée.
Les autorités essayaient de minimiser la chose, mettant en cause les matériaux de construction, allouant des subventions et des aides pour réparer... Des fabricants ingénieux avaient même découvert un ciment élastique qui garantissait, selon la publicité, des murs solides pendant vingt ans...
Mais tout cela ne rassurait guère les populations, et surtout n'expliquait nullement la cause de l'étrange phénomène, qui de plus, semblait s'amplifier d'année en année.
Et dans les rues du monde entier, lors des rencontres entre voisins, on ne parlait plus que de ça.
Vendredi 19 avril 2057 - 19h37 heure de Paris:
Communiqué du journal « Le Globe":
Le verdict vient de tomber à l'instant. Il est hélas sans appel.
Ce qui pouvait au départ passer pour une lubie collective est en fait une réalité prouvée par des mesures précises, effectuées en divers points du globe, par des scientifiques crédibles.
Et leur conclusion, unanime, est pour le moins alarmante.
Ils ont d'abord cherché parmi les phénomènes connus, tremblements de terre, volcanisme, tectonique des plaques. Mais aucun ne peut expliquer que la surface terrestre elle-même se rétrécit.
Ce serait donc selon eux le réchauffement climatique, constaté au début des années 2000, et entamé maintenant depuis environ deux siècles, qui, en s'amplifiant de façon imprévue, a conduit à une sorte de rabougrissement de l'écorce terrestre, qui, telle une vieille pomme blette, se ride et se flétrit d'autant plus vite que la sécheresse augmente.
Et cet effet est encore amplifié, depuis le début de l'ère industrielle, par les forages et extractions de diverses matières premières, gaz, pétrole, minéraux de toutes sortes...
En ponctionnant ainsi notre planète, nous accélérons encore son ratatinement.
Cette catastrophe a d'ores et déjà des conséquences géopolitiques graves.
Des conflits ont éclatés entre peuples pour la défense de l'espace vital. Car dans les régions les plus sèches du globe, le rétrécissement du territoire est plus rapide encore que dans les régions tempérées.
Pour clore le tableau apocalyptique, ajoutons que l'augmentation constante de la population mondiale n'arrange rien.
Un appel urgent est donc lancé aux scientifiques pour trouver au plus vite une solution à ce problème dont dépend la survie de l'humanité.
Des suggestions ont déjà été faites:
– d'injections sous la croûte terrestre pour « repulper » la Terre, pourquoi pas des déchets divers qui encombrent sa surface. Mais cela rendrait tout nouveau forage dangereux, et ne suffirait peut-être pas pour enrayer durablement la catastrophe.
– Une reforestation accélérée pour emprisonner l'humidité dans le sol. Mais où trouver l'eau douce pour entretenir tous ces arbres sur une planète qui se réchauffe depuis un siècle ?
– Éloigner la Terre du soleil pour contrer son réchauffement ? Mais outre la difficulté de l'entreprise – toutes les bombes nucléaires existantes n'y suffiront peut-être pas –comment s'assurer que l'orbite de la Terre ne rencontre pas alors celle de la lune, provoquant un cataclysme définitif ?
L’heure est donc grave et la parole est aux politiques et aux scientifiques .
Têtes à claques*
La photocopieuse en trois dimensions était décidément une belle invention. On avait d'abord cru à un gadget, parce qu'on n'imaginait dans l'immédiat que des applications anodines, mais très vite, on découvrit tout le parti qu'on pouvait en tirer. Les idées les plus incroyables virent bientôt le jour, comme les prothèses sur mesure, parfaitement adaptées au patient et à coût réduit.
Mais quand un laboratoire de chirurgie esthétique se vanta de donner à chacun la tête de ses rêves grâce à ce procédé, l'incrédulité laissa vite place à un phénomène de masse, qu'on pourrait même qualifier de global puisqu'il toucha rapidement tous les continents.
Ce fut le début d'un rush commercial. Tous désiraient en bénéficier. Le coût, plutôt élevé au départ, s'adapta très vite à la demande. La rareté ou la qualité supérieure pouvait multiplier le prix de façon considérable. Mais la tête de rechange était le dernier truc à la mode et désormais, on n'imaginait plus pouvoir s'en passer.
Des fabriques spécialisées virent le jour. Elles créerent des emplois en nombre, appréciables en période de chômage.
Bref tout allait pour le mieux. Le client était en général très satisfait et exhibait avec fierté son nouveau visage.
Dans un premier temps, on constata un véritable engouement pour les stars. Les sosies d'artistes, acteurs, chanteurs, se comptèrent par milliers.
Mais très vite cette mode passa, découragée par le prix atteint par ces articles suite à la demande, et aussi par la rencontre trop fréquente de jumeaux.
On préféra donc l' « originalité ».
Ainsi, on ne croisa plus dans les rues que des faciès jeunes, en grande majorité blancs de peau. Les femmes portaient les cheveux blonds, les yeux clairs, une face à l'ovale parfait, au menton et au petit nez mutin. Les hommes, poil foncé et nez droit, exhibaient des sourcils fournis et un menton volontaire, signes de virilité. La tranche d'age choisie se situait entre 15 et 35 ans maximum.
Tout serait allé pour le mieux si un phénomène de surenchère n'était pas apparu très vite. Le prix devenu modique, pourquoi se contenter d'une seule tête ?
Certains donc, et de plus en plus nombreux, n'hésitèrent pas à les collectionner, une pour chaque
jour de la semaine, et bientôt, une tête pour chaque circonstance de la vie, une pour chaque toilette !. Ce n'était plus « Vous vous changez, changez de kelton ! » selon une ancienne publicité de montres, mais : « vous vous changez, changez de tête ». C'était à celui qui se vanterait sur les réseaux sociaux d'en posséder le plus grand nombre !
La police craqua la première : Les contrôles étaient impossibles, les cartes d'identité inopérantes devenaient l'objet d'un trafic fructueux. Beaucoup d'ailleurs avaient entrepris une collection de têtes.
Échangées moyennant finances, elles circulaient de main en main. Impossible d'arrêter petits ou grands délinquants : il leur suffisait de changer de visage pour devenir méconnaissables. Inutile de faire appel à témoin : il n'avait probablement vu qu'un masque ! Un criminel pris sur le fait pouvait courir se cacher derrière un coin de mur et ressortir avec un faciès différent. La vie devenait impossible pour tout agent de sécurité, contrôleur ou gens de justice.
Des grèves monstres décidèrent le gouvernement à agir, à décréter hors la loi le port de têtes synthétiques et à fermer toutes les fabriques.
Mais entre-temps un trafic clandestin international s'était mis en place. Il alimente encore aujourd'hui le terrorisme mondial.
Cependant, alors même que les autorités rencontraient des problèmes de plus en plus aigus avec les têtes de rechange, la population mondiale avait fini par se lasser de ce nouveau jouet : avoir une gueule de star l'exposait à rencontrer son sosie à chaque coin de rue. Mais vouloir un physique parfait le confrontait à un anonymat angoissant : La mode du moment avait crée un idéal figé, stéréotypé, « normalisé », sans aucun caractère personnel, un idéal « Barbie » qui condamnait à une
uniformité consensuelle. Toutes les femmes étaient devenues belles selon des canons occidentaux américanisés, tous les hommes des sur-mâles selon les mêmes canons de la masculinité.
Cette petite révolution, ce changement de visage qui devait permettre à chacun de se réaliser, de se distinguer des autres, de s'affirmer en tant qu'individu unique, avait tourné au cauchemar. Le monde entier n'était plus habité que par un troupeau humain anonyme dans la conformité.
Le premier qui sortit dans la rue avec un gros nez, des petits yeux enfoncés, les oreilles trop grandes et légèrement décollées de son crâne chauve, avait un grand sourire aux lèvres.
Et il fut suivi de beaucoup d'autres.